Le livre s'ouvre sur hôtel qui offre la pension complète, un lieu de villégiature sur la cote dalmate. Tous mangent dans une salle à manger commune, il y a toujours un bout en train pour se faire remarquer, ici c'est un fabricant de porcelaine allemand qui ne résiste pas à entonner l'air de l'ange bleu "Nimm dich in acht vor blauden Frauen" en tambourinant la table lorsque la directrice blonde de l'établissement fait son entrée... Un homme reste à l'écart, il vient pour fuir ses soucis, essayer de se reconstruire, son nom est Victor Henrik Ashkenazi, nous plongeons dans son passé...
Professeur de grec à l'institut de langues orientales, Askhenazi a tout du bourgeois, marié, catholique, sa vie est organisée autours de rituels, de petites manies... cet homme est un conservateur. Un jour, il vient en aide à une jeune fille Elise qui a du mal à porter sa valise à la sortie d'une station de métro. Danseuse aux relations un peu louches, peut être pourions nous parler d'une cocotte, Elise devient la maitresse du professeur. Pour elle, il quitte sa femme ce qui n'est pas sans souci dans la société bourgeoise et convenue des années 30. Mais cette aventure est une déception, la découverte d'une nouvelle sensualité finit par lasser le professeur, il quitte celle qu'il nomme l'étrangère:
Ce que le corps pouvait donner, Elise l'avait volontiers offert à Askhenazi, naturellement, généreusement, sans attendre aucun remerciement, comme une évidence. Un jour, il se rendit compte qu'il recevait vraiment beaucoup de la part d’Élise ; seulement ce n'était pas suffisant. La réponse du corps était brève, sans ambiguïté, d'un seul tenant, mais Ashkenazi remarqua avec inquiétude que l'expression de cette réponse était loin d'être parfaite. C'est pourquoi tout en le regrettant sincèrement, bien que proche du but et ayant beaucoup sacrifié à l'expérimentation, il fut contraint de reconnaître son fiasco; un jour, il quitte Elise."
C'est cet homme perdu qui est venu se perdre dans cet hôtel. Une femme est retrouvée morte à l'étage de l'hôtel, étranglée, tout désigne Askhenazi qui a disparu, son côté solitaire contribue à le désigner comme coupable aux yeux des autres...
Roman sombre, un homme sort de son milieu social parce qu'il devient un carcan insupportable et en dehors de ces conventions il perd tout repère, il se retrouve confronté à l'absurdité du monde qui lui éclate à la figure, c'est à une chute que nous assistons. Albert Camus n'a surement pas lu ce roman écrit en 1934 de Sandor Marai alors inconnu en France, mais il y a fort à parier qu'il aurait eu un grand intéret à découvrir ce personnage. Le livre s'ouvre sur une desctription remplie d'ironie sur un groupe en vacances, il en décrit parfaitement la vulgarité... il se clôture magnifiquement sur un chapitre nommé dialogue où notre personnage se retrouve seul sur une île:
"Seul, avec lui, en face à face, dans un territoire, intime, ouaté, capitonné, seuls tous les deux dans ce petit espace cosmique familier ou personne ne pouvait les entendre. Il pensa aux prémices de ce dialogue, aux quarante et quelques années pendant lesquelles il avait collecté les mots, aux chemins obscurs, aux efforts pénibles pour en arriver jusque ici."
Un roman magnifique, deux cents pages d'une densité extraordinaire, le livre vous tient en haleine de bout en bout ! Il faut toujours mettre un roman de Sandor Marai dans sa valise, c'est la garantie de vivre un grand moment de littérature.
Sandor Marai - L'étrangère (Traduit du Hongrois par Catherine Fay) Ed Albin Michel.
La photo correspond à un endroit de Charente Maritime (Fenioux) où ce livre fut en partie lu
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