dimanche 28 février 2016

Nahid - Ida Panahandeh

Nahid vit seule dans une petite ville au bord de la mer Caspienne avec son fils depuis son divorce . Elle a obtenu , fait exceptionnel,de son ex-mari , un toxicomane la garde de leur fils. Pour cela elle a du s'engager à ne pas se remarier. Sa rencontre avec un nouvel homme, un veuf père d'une petite fille, va bouleverser l'équilibre de sa nouvelle vie dans une société iranienne marquée par un code de l'honneur où la puissance familiale s'impose aux femmes... Le secret de cette relation est rapidement éventé, son enfant est repris par sa belle famille
Le mariage, le divorce sont des thèmes récurrents du cinéma iranien, et donc assurément du quotidien de chacun et notamment des femmes prises au piège d'un code la famille désuet et d'une misogynie insupportable, nous avons ainsi découvert un concept de mariage temporaire dont nous n'avons pas totalement compris la finalité si ce n'est que ce n'a pas vraiment cool pour les femmes. Le film ne sombre pas pour autant dans un manichéisme caricatural, il montre la complexité de la situation, dont finalement personne ne sort gagnant  si ce n'est ceux qui sont à la tête des familles qui tiennent là un vrai pouvoir.
Les films iraniens même si ils dénoncent une situation insupportable sont toujours pour nous une source d'espoir... Déjà par ce qu'ils ont le mérite d'exister, mais aussi parce qu'ils nous révèle face à des forces obscurantistes, des gens plus ouverts qui ne demandent qu'à se libérer du joug des religieux nous rappelant ainsi que l'Iran est un grand pays d'où émergent toujours des esprits brillants et éclairés.

Le souci de ce film c'est que nous en comprenons rapidement ces enjeux, et que nous suivons les événements qui s'enchaînent sans surprise. Il n'y a pas vraiment de tension qui s'installe, tout se déroule sur le même rythme , l'ennui finit par s'installer peut être aussi parce que le sujet déjà traité auparavant ne nous est plus inconnu .... il faut dire que le visage de chien battu du nouvel amoureux  dont il se dégage une certaine apathie n'aide pas à faire vivre ce film qui repose principalement sur les épaules de Sareh Bayat déjà vue dans la Séparation...et qui assume ici un rôle en  totale opposition au précédent , celui d'une femme qui résiste , refuse de se soumettre assumant aussi de ne pas être parfaite...

samedi 27 février 2016

Les délices de Tokyo - Naomi Kawase

Sentaro est un vendeur de doryakis, spécialités japonaises sucrées composées de deux petites crêpes fourrées avec une purée de haricots rouges confits.
Installée dans une petite cabane sa  boutique attire surtout une  de collégiennes gourmandes. Il a déposé une offre d'emploi pour avoir une aide dans la confection de ces galettes.
Une femme âgée Tokue se présente et fait part de son intérêt pour le poste, Sentaro refuse de la prendre du fait de son âge ... La vieille dame insiste et finit par apporter au cuisinier sa propre préparation de haricots. Devant l'excellence de son travail, il accepte d'engager la vieille dame .... Les ventes explosent et grâce au bouche à oreille, une longue queue s'installe devant le petit commerce...
  Une vraie complicité naît entre Tokue ,Sentaro et une jeune collégienne délaissée , leurs trois solitudes les rapprochent  . Mais la découverte des mains portant les stigmates de la  lèpre dont fut victime la vieille dame a raison du nouveau succès ... La rumeur s'est propagée à la vitesse de la lumière, le client s'évapore... Tokue qui a compris la situation quitte le commerce, Sentaro accompagné de la jeune fille vont lui rendre visite, ils découvrent la réalité scandaleuse de ceux qui furent victimes de la lèpre au Japon, condamnés à vivre à l'écart des autres, ils sont traités comme des pestiférés alors qu'ils ne représentent pas un danger pour les autres, des mesures disproportionnées qui ne furent abandonnées seulement qu'en 1996.

C'est un film admirable qui vient dénoncer un scandale resté inconnu dans nos contrées, mais c'est avant tout un film  de transmission , où Sentaro cuisinier bourru au passé violent découvre l'humanité de ses sentiments , sa rencontre avec Tokue transforme sa vie , lui redonne une espérance   ...

jeudi 25 février 2016

La fin de l'humanité - Karl Kraus (Mise en scène David Lescot)

"J'affirme que, pendant la guerre, tout intellectuel s'est rendu coupable de trahison envers l'humanité s'il ne s'est pas révolté contre sa patrie quand celle-ci était en guerre."

Karl Kraus
"L'oiseau qui souille son propre nid"
La sorbonne, 9 décembre 1927




Né en 1876 en Bohème, Karl Kraus a grandi à Vienne. Dés 1914, il pressent l'horreur à venir, il est un observateur avisé de tous les délires, les corruptions, quand la presse elle même se laisse entrainer pour justifier la guerre. Pour les marchands d'armes, c'est un âge d'or ...
Il écoute, il lit, il note, il rédige une œuvre considérable, une pièce en cinq actes, une tragédie où le destin ne s'applique pas ici à un personnage mais à l'humanité toute entière. 
C'est une œuvre Patchwork où il reprend extraits de presse, de discours, de lettres, propos de comptoirs ;  il reconstitue des scènes de foules, intègre des chansons, les personnages sont multiples, c'est autant du cabaret que du théâtre.
La pièce était prévue pour se jouer sur plusieurs jours ce qui n'était pas envisageable pour le théâtre du vieux colombier. David Lescot a  dû tailler dans le texte sans en diminuer ni la virulence ni la truculence. Le travail final est impressionnant, le tout est renforcé par l'ajout de films d'archives particulièrement impressionnants, nous pensons notamment à ces images effroyables de soldats victimes d'obusite.
A chaque acte, correspond une année de conflit, qui s'ouvre sur un dialogue entre trois officiers restés à Vienne,  le rire sardonique des premiers temps s'efface, l'optimisme de certains ne trouve plus sa place. Les paysages dévastés des champs de bataille, les morts, les blessés, handicapés témoignent de la folie destructrice des hommes. La fin de l'humanité est bien là...

Ils sont quatre sur scène: Denis Podalydés, Bruno Raffaeli, Sylvia Bergé et Pauline Clément. Ils sont accompagnés par le pianiste Damien Lehman ... ils changent de personnage en un tour de main, un vrai plaisir d'acteur, ils passent du burlesque à la tragédie, ils révèlent toute l'absurdité de la situation. Ils jouent, ils lisent des lettres, ils chantent, ils révèlent toute la force du texte, toute sa monstruosité. C'est un spectacle magnifique et bouleversant.

Le texte magnifique a été édité aux éditions Agone. Ci-dessous, l'extrait du quatrième de couverture en révèle en quelques lignes toute la puissance:

"Au secours, les tués ! Assistez-moi, que je ne sois pas obligé de vivre parmi ces hommes qui ont ordonné que des cœurs cessent de battre! Revenez ! Demandez-leur ce qu'ils ont fait de vous ! Ce qu'ils ont fait quand vous souffriez par leur faute  avant de mourir par leur faute ! Cadavres en armes, formez les rangs et hantez leur sommeil? Ce n'est pas votre mort - c'est votre vie que je veux venger sur ceux qui vous l'ont infligée! J'ai dessiné les ombres qu'ils sont et je les ai dépecés de leur chair! Mais les pensées nées de leur bêtise, les sentiments nés de leur malignité, je les ai affublés de corps! Si on avait conservé les voix de cette époque, la vérité extérieure aurait démenti la vérité intérieure, et l'oreille n'aurait reconnu ni l'une ni l'autre. J'ai sauvegardé la substance et mon oreille a découvert la résonance des actes, mon œil le geste des discours, et ma voix, chaque fois qu'elle citait, a retenu la note fondamentale, jusqu'à la fin des jours. "

Un jour avec, un jour sans - Hong Sangsoo

Nous aimons les films de Hong Sangsoo et cela reste un mystère car il a tout pour nous ennuyer notamment une proximité avec le cinéma de Eric Rohmer auquel nous sommes toujours restés étrangers. Son nouveau film se réduit à nouveau à une relation homme femme. Celle engagée par un cinéaste arrivé avec un jour d'avance dans une ville de province Suwon où il doit présenter son dernier film avec une jeune fille d'abord aperçue  dans la rue puis rencontrée dans un temple.
Il engage alors la conversation avec elle. Impressionnée par son statut de cinéaste elle accepte de lui tenir compagnie, d'aller prendre un café avec lui. Ils vont de bar en restaurant, errant dans la ville,  l'occasion de se découvrir... La jeune femme, qui occupe ses journées à peindre dans un atelier est revenue vivre chez sa mère après une carrière de mannequin, le cinéaste ne résiste pas à son charme et tente de la séduire...
Cette histoire simple, Hong Sangsoo nous la raconte deux fois avec de légères variations, un peu sur le modèle du Smoking/No Smoking d'Alain Resnais. Dans la deuxième version les personnages sont plus vrais dans leurs sentiments, une honnêteté qui donne à leur relation fugace plus de force ...
Nous découvrons un monde des sentiments différent du nôtre où les personnage restent pudiques ne rompant jamais une certaine distance même sous l'emprise de l'alcool...

C'est tout simplement lumineux, simple et totalement envoûtant, nous avons encore succombé aux charmes du cinéaste coréen.


mercredi 24 février 2016

Moonfleet - Fritz Lang,

Ce sont peut être bien les films d'aventures qui ont donné aux enfants leurs plus beaux rôles. Nous pensons spontanément à L'ile au Trésor de Victor Fleming, film adapté du roman de Robert Louis Stevensson  et au personnage de Jim Hawkins qui brave tous les dangers au coté du peu recommandable Long John Silver. Notre préférence va peut être au Moonfleet de Fritz Lang, film mal aimé par son auteur qui utilisa pour la première fois le format cinémascope, un film sur lequel il eut à subir les ordres des studios.
Il rencontra d'ailleurs peu de succès lors de sa sortie. Il ne dut sa reconnaissance que cinq plus tard au moment de sa sortie européenne grâce à la critique française et notamment à celle de Jean Douchet dans les cahiers du cinéma n°107, il trouvait enfin sa place dans l'histoire du cinéma.
Moonfleet, c'est l'histoire d'un gamin John Mohune envoyé par sa mère où moment où elle meurt vers le village de Moonfleet pour le confier à son amour de jeunesse Jamie Fox.  Ce dernier est à la tête d'un groupe de contrebandiers peu scrupuleux qui n'ont aucun désir de s’embarrasser d'un gamin. La destinée de John Mohune ne semble pas avoir été placée en de bonnes mains, tant Jamie Fox est devenu un homme froid , cynique et intraitable ... mais John Mohune possède des informations qui doivent pouvoir aider à retrouver le mystérieux diamant d'un ancêtre lointain Barberousse...
Un vrai film de brigands, avec Stewart Granger, excellent,  incarnant  Jamie Fox , nous y retrouvons également  l'incomparable George Sanders toujours parfait lorsqu'il s'agit d'incarner un méchant. C'est un film sombre où Fritz Lang aime à jouer avec les peurs, nous trainant par exemple en pleine nuit dans un cimetière... Pas vraiment un film de capes et d'épée, ni un film de pirates, ni film gothique, Moonfleet est en même temps un peu tout cela c'est ce qui en fait un film singulier. Une singularité qui ne pouvait pas plaire aux studios qui n'avaient pas su voir, étranger au concept d'auteur, que c'était tout simplement le film d'un cinéaste majeur...  

Nous aimons toujours le revoir parce qu'il nous procure une certaine nostalgie, celle des mardis soirs quand la télévision se préoccupait de donner goût au cinéma aux jeunes gens avec la "cultissime"dernière séance d'Eddy Mitchell. 

Jean Douchet dans sa critique pour les cahiers du cinéma écrivait alors ceci: "Qu'est ce que Moonfleet? Un regard lucide et terrible posé par Lang sur lui-même, qui nous découvre ses plus secrètes impulsions. Avec une sincérité sans complaisance, ce film peint la dégradation monstrueuse que l'homme fait subir à ce qu'il y a de plus profond en lui: la volonté de conquête. Se libérer de ses entraves, posséder le monde, est le but de tout homme. Mais, trop souvent, celui-ci ne désire cette domination que pour mieux jouir et profiter de ce monde, s'en faisant par là son esclave. Dés lors, tout, pour lui est obstacle qu'il lui faut briser. La présence de l'autre, parce qu'animée de cette même volonté de conquête, se révèle vite intolérable, la supprimer devient l'obsession majeure. Seules l'innocence ou la la sagesse, qui n'est que l'innocence reconquise par l'adulte, peuvent la satisfaire pleinement et rendre véritable la possession du monde."

Film vu dans le cadre du ciné club du bric à brac de Potzina

Ave cesar ! - Les frères Coen

Chantons sous la pluie racontait Hollywood au moment où le cinéma parlant faisait son apparition. Ave Cesar !, le dernier film des frères Coen raconte le Hollywood de l'après guerre, au moment même où le film de Stanley Donen et Gene Kelly se tournait ...
Cette histoire nous est racontée à travers une journée d'Eddie Mannix, "fixer" chez un producteur de studios. Son job est simple il doit régler tous les problèmes pour permettre un tournage serein des divers films en cours, ainsi il doit faire face à une succession d'emmerdements .... Son premier boulot est de masquer à la presse à scandale les écarts de ses acteurs sous contrat pour ne pas s'attirer les foudres des ligues de vertus promptes à faire d'Hollywood  l’œuvre du diable, il chaperonne ses vedettes, les sort de l'embarras avant que l'information soit dévoilée... Ses problèmes du jour sont nombreux: éviter à une starlette de se faire embarquer par la police pour photographies coquines , trouver une issue à Dee Anna Moran (délicieuse Scarlett Johnasson) vedette incarnant la pure sirène des ballets aquatiques,  enceinte alors qu'elle n'a pas d'amant fixe, de faire accepter à Laurence Laurentz cinéaste précieux la présence d'un jeune acteur assez monolithique venu du western, pour le premier rôle,et il doit prendre l'avis des représentants des différentes communautés religieuses pour valider le scénario du grand projet en cours sur la vie de Jésus .... mais l'imprévu est la disparition de sa vedette de cette superproduction Ave Cesar, enlevé par un groupuscule politique... Une rançon lui est réclamée. 
Il est aisé de comprendre le plaisir qu'ont pu avoir les frères Coen à tourner leur dernier film. Recréer des scènes de comédies musicales, de ballets aquatiques de l'âge d'or hollywoodien fut assurément pour eux jubilatoire. Plaisir non égoïste qu'ils partagent avec le spectateur qui se laisse emporter par ce monde factice.
Ils font un retour vers la comédie loufoque, comme à chaque fois qu'ils écrivent un rôle de crétin, ils pense spontanément à George Clooney pour l'incarner. Ce choix peut apparaitre étonnant d'un premier abord, mais la prestation réussie de l'acteur leur donne à chaque fois raison.
Ici il est kidnappé par des membres  d'une cellule communiste, avec notamment de nombreux scénaristes qui n'acceptent plus d'être payés forfaitairement et de ne pas percevoir une partie des dividendes quand les recettes d'un film explosent. Ils se retrouvent dans une grande maison sur les bords du Pacifique, nous rappelant ainsi que les "rouges" ont toujours eu le sens de la Datcha.
Ne nous leurrons pas cette affaire louche n'est qu'un prétexte pour les cinéastes pour s'offrir une tranche de rire en reconstituant le monde disparu l'Amérique pudibonde et moraliste de Eisenhower. Hollywood peut ressembler à un enfer pour ceux qui travaillent, Eddie Mannix n'a quasiment plus de vie privée, mais qu'importe il ne peut pas décrocher refusant même un pont d'or offert par une entreprise de l'industrie aéronautique. Pour tenir le coup, il s'offre comme thérapie une séance de confession dans une église catholique, il expie ses péchés, l’âme nettoyée il peut repartir...

Un "Coen mineur" diront certains, surtout au regard de films plus profonds tel a serious man, qu'importe nous avons pris plaisir à cette comédie et ri de bon cœur. Nous avons passé un excellent moment . Ave les frères Coen !

dimanche 21 février 2016

Tartuffe de Molière (Mise en scène Luc Bondy)


Trois générations d'une même famille se retrouvent au petit matin autour d'une table pour le petit déjeuner, les gestes précis presque mécaniques nous font comprendre que c'est là une habitude, l'ambiance est plutôt tendue, le souci porte un nom : Tartuffe .
Tartuffe est le nom du dévot qu' Orgon le chef de famille de famille, absent ce matin là a fait entrer dans la demeure. Tartuffe, il n'est question que de lui, il est au centre des conversations pourtant il n'apparait qu'au début du troisième acte.
Orgon veut le marier à sa fille Marianne pourtant promise à Cléante qu'elle aime tendrement, schéma classique du théâtre de Molière ... Révéler l'hypocrisie de Tartuffe à Orgon devient une urgence, comme un signe le sol à damier noir et blanc parfait pour la partie d'échec qui va se jouer !
Luc Bondy comme pour mieux révéler l'universalité et donc le génie de Molière a situé cette intrigue familiale dans un cadre bourgeois contemporain... Ainsi on voit la servante Dorine, esprit éclairé  cacher un enregistreur pour mieux confondre l'hypocrite Tartuffe et on se retrouve un instant chez les Bettencourt où les employés de maison usaient des mêmes stratégies pour confondre ceux qui cherchaient à  spolier leur patronne et à  séparer les parents des enfants.
Tartuffe, c'est Micha Lescot, impressionnant il joue de son physique, ses bras tentaculaires font penser à des pattes d'araignée qui tissent la toile pour garder prisonnier celui qui est prêt à lui céder sa fille mais aussi sa fortune.

Orgon n'est pas vu pour autant comme un idiot cela serait trop simple, il n'a pas su voir l'hypocrite en Tartuffe, il ne voit qu'un homme de foi, droit, un homme qui offre des garanties de bonne morale dans cette maison dont il doit parfois s'absenter. Heureusement sa femme Elmire est là pour confondre l'hypocrite, merveilleusement interprétée par Audrey Fleuriot, Tartuffe succombe à ses charmes dans une scène cocasse où Molière est au sommet de la drôlerie et d'une certaine cruauté...
La famille libérée se retrouve pour le diner un peu triste, Cléante et Marianne dansent, l'amour est sauf ?

Magnifique, Tartuffe est peut être notre pièce préférée de Molière, Luc Bondy en fait une affaire familiale, il aime à regarder le fonctionnement de chacun quand un élément extérieur vient révéler les failles, cette mise en scène complète son travail sur Ivanov de Tchekov que nous avions vu il y a quelques mois.  Subtile, terrible, drôle, cette pièce captive, elle sonne juste, comme les mots de Dorine lorsque Tartuffe lui tend un voile pour qu'elle couvre son sein:

"Vous êtes donc bien tendre à la tentation,
Et la chair sur vos sens fait grande impression?
Certes je ne sais pas quelle chaleur vous monte:
Mais à convoiter, moi, je ne suis pas si prompte,
Et je vous verrais nu du haut jusqu'en bas,
Que toute votre peau ne me tenterait pas"

Vu aux Ateliers Berthier - Théâtre de l’Odéon

samedi 20 février 2016

Peur de rien - Danielle Arbid

Paris 1993, une jeune libanaise de 18 ans Lina profite de la présence de sa tante dans la capitale pour quitter son pays natal et venir suivre ses études. Son oncle tente d'abuser d'elle, Lina choisit de fuir . Elle erre d'abord dans les rues de la capitale, mais pleine de détermination elle trouve solution à ses problèmes pouvant compter sur des jeunes hommes sensibles à son charme.
Durant cette même époque, Charles Pasqua est de retour au Ministère de l’intérieur, de nouvelles lois précarisent la situation des étrangers dont celle de Lina...
C'est rempli de bons sentiments, Manal Issa l'actrice principale est charmante, l’ensemble des interprètes sont convaincants mais cela ne fut pas suffisant pour nous sauver de l'ennui en particulier durant la première heure de ce film à la veine autobiographique, après  ce fut un peu plus captivant mais si peu... certes il y a de jolis moments mais le récit ne prend pas c'est filmé de manière très convenue, nous ne sommes jamais touchés par ce film sans surprise.  Nous oublierons vite !

vendredi 19 février 2016

1 heure 23' 14" et 7 centièmes - Jacques Gamblin

Lorsque nous avions découvert Jacques Gamblin, nous avions été bluffés par son coté athlétique... Plutôt mince il ne paye pas de mine, pourtant c'est un véritable athlète d'une souplesse redoutable, une qualité qui renforce son coté lunaire, c'est un sublime funambule... Le sport est d'ailleurs au cœur de son dernier spectacle où il incarne un coach sportif dont l'expression du corps a autant d'importance que la parole. Nous assistons à une séance d'entrainement où le sportif incarné par le danseur Bastien Lefèvre subit les ordres de son coach...
Rapport de couple, de soumission, l'élève encaisse les critiques, recommence sans cesse ses mouvements. Il y a du masochisme chez l'élève qui ne voit pas l'admiration dans le regard de son maître, jusqu'au  moment où il craque...
Répéter, répéter pour espérer de manière utopique atteindre la perfection et se sentir seul sur le toit du monde, être le meilleur...
Le sport devient ici poésie, nous naviguons sans cesse entre théâtre et danse, l'acteur a su trouver en Bastien Lefèvre un compagnon idéal déjà présent dans un précédent spectacle Tout est normal mon cœur scintille qui s’intègre parfaitement à l'univers singulier et élégant de Monsieur Gamblin. On sort de la salle parfaitement détendus comme après une bonne séance de stretching  ...

dimanche 14 février 2016

Franito - Patrice Thibaud

Rencontre improbable entre l'univers du flamenco de Fran Espinosa  et celui du burlesque de Patrice Thibaud qui interprètent  pendant plus d'une heure un fils unique couvé par une mama espagnole irrésistible. Ce fils n'a qu'une idée en tête, danser le Flamenco, faire claquer ses talons sur le plancher familial. Tout cela finit par taper sur la cabeza de la mama, alors les deux passent leur temps entre vacherie et tendresse...
Le spectacle s'ouvre sur Fran Espinosa, disons le,  il ne paye pas de mine, pas très grand, grassouillet, plus beaucoup de cheveux, un feu de planche, des chaussures à talons... puis il se met à danser, tout devient grâce et légèreté, totalement bluffant, les talons claquent, la mama arrive agacée par ce tintamarre. Les numéros s'enchainent, peut être une impression de déjà vu, des mimiques empruntées  à Louis de Funés, mais qu'importe, le génie de Patrice Thibaud redonne une fraicheur à cet art magique qui permet aux adultes la spontanéité de l'éclat de rire propre à l'enfance, il réunit dans un instant de grâce toutes les générations.
Il serait injuste  de ne pas citer le génial guitariste imperturbable Cédric Diot qui accompagne ce duo improbable...
C'est un bel hommage que rendent Patrice Thibaud et ses compagnons, musique, danse, théâtre, burlesque c'est drôle poétique et donc rempli d'humanité. Un spectacle total, un vrai moment de plaisir ! 


jeudi 11 février 2016

Ali 74, le combat du siécle - Nicolas Bonneau

Lorsque Mohammed Ali souffrant de la maladie de Parkinson allume la main tremblante la flamme aux jeux olympiques d'Atlanta, Bill Clinton alors Président pleure... des larmes qui peuvent être vues comme un pardon pour les douleurs infligées au boxeur et plus largement au peuple noir... Boxeur génial, poids lourd au jeu de jambes jamais vu pour un tel gabarit,  Mohammed Ali fut banni de son pays pour avoir refusé de combattre au Vietnam... Il avait d'ailleurs un excellent motif, les vietcongs eux ne l'avaient jamais traité de sale nègre.
Sale nègre, c'est ainsi qu'il fut reçu dans un restaurant après sa victoire aux JO à Rome. De colère il en jeta sa médaille d'or dans le fleuve l'Ohio ...
Don King pour "se refaire"   après un séjour en prison, rêve d'organiser une rencontre entre George Foreman qui n'a fait qu'une bouchée de Joe Frazier et Mohamed Ali . Seulement il n'a pas de fonds alors il a l’idée de monter ce combat au Zaïre dont le dictateur Mobutu voit  cet événement sportif sans précédent sur le continent africain comme un fabuleux moyen de propagande, il est prêt à puiser dans son trèsor.
Ce combat  va bien au-delà du sport puisqu'il synthétise à lui seul toutes les tensions de l'Amérique.
Si Ali est un rebelle proche des Black Panthers, hâbleur, et provocateur, ses conférences de presse sont un vrai spectacle, George Foreman est tout le contraire, médaillé d'or aux JO de Mexico il fait le choix de porter le drapeau américain, à l'inverse des coureurs du 200 m qui montent sur le podium la tête basse, le poing en l'air enrobé dans un gant noir.... George Foreman est le prototype de ce que Malcolm X appelle avec dédain un nègre blanc. A Kinshasa il s'enferme dans l’hôtel Intercontinental, il est invisible , Ali lui court dans les rues, toujours  proche de la foule, en quête de soutien . George Foreman a le statut du méchant, il est plus puissant que son adversaire, les initiés de la boxe en font leur favori ...
Mais Ali a vu une faille, le boxeur est puissant mais peu endurant, durer est la solution... alors Ali ce soir là ne danse pas sur le ring, il encaisse les coups encore et encore coincé dans les cordes, mais comme toujours il cause, agace son adversaire lui répétant que ses coups sont bien doux...  Foreman cogne, cogne mais Ali se protège derrière ses poings, et il finit par épuiser son adversaire. Au huitième round, il jaillit des cordes pour le terrasser  d'un crochet, Foreman tombe, le peuple exulte, Ali est définitivement une légende...

C'est ce morceau d'anthologie de l'histoire du sport que nous raconte sur scène Nicolas Bonneau, pour rendre toute la portée politique et historique de cet événement il invente une nouvelle forme de spectacle. Accompagné de deux musiciens,son spectacle est un mélange de chants, vidéos et de textes , alternance d'émotions et d'humour ... Conteur enthousiaste il parvient avec talent à recréer l'ambiance si particulière de ce combat, nous en faire sentir les vibrations, la puissance des coups, la ferveur populaire. Tel un spectacle de sport, il y a parfois quelques temps faibles mais aussi des temps forts magnifiques ainsi la lecture du texte de Norman Mailer qui était  présent au bord du ring..
La boxe est un sport discutable par son principe qui est de détruire l'adversaire mais aussi par les dommages irréparables qu'elle peut causer, mais ce sport singulier est le seul qui ait donné de grands films de cinéma  ...

Il n'y a pas lieu d'être un amateur de boxe pour apprécier le spectacle de Nicolas Bonneau Ali 74, le combat du siècle, tout simplement parce que c'est un très bon spectacle !


dimanche 7 février 2016

Scènes de la vie conjugale - Ingmar Bergman (Mise en scène Nicolas Liautard)


Ingmar Bergman a eu des relations compliquées avec les femmes et les impôts suédois. S’il se contente dans son œuvre de quelques piques contre l’administration fiscale qui l'a contraint un certain temps à l'exil, sa relation complexe aux femmes comme celle à Dieu sont au cœur de son œuvre.
A la différence de l'illustre August Strindberg, il n'a pour autant jamais cédé à une phallocratie odieuse rejetant tous les maux sur la gente féminine pour justifier les échecs de sa vie conjugale, il se regarde sans concession et s'interroge sur l'amour, doutant même de sa réalité.
    
Chez Bergman les sentiments, la passion sont omniprésents, on s'aime avant de se haïr. Dans ses couples qui se déchirent , s’humilient il reste toujours une forme de tendresse entre deux êtres qui se sont aimés ; l'impossibilité du couple laisse place à une complicité, certes un peu vache, un peu cynique mais ce n'est pas une guerre totale. 

Scènes de la vie conjugale est une œuvre monumentale de Ingmar Bergman, construite autour d'un couple Johann et Marianne dont nous allons suivre les déchirements avec la précision d'un entomologiste... Il nous fait part à travers six tableaux qui s'étendent sur 20 ans de son analyse du couple vu comme l’illusion d'échapper à sa propre solitude suivie du dégout de se retrouver dans des positions humiliantes pour tenter de sauver cette cellule sans avenir.
La colère impulsive de ses personnages est à la mesure du ressentiment coupable éprouvé : le couple dénoncé comme un piège , les  enfants, entraves à la liberté, deviennent des parfaits étrangers... pour autant au moment de signer l'acte de divorce, la main tremble... 

 A chaque fois leur rencontre balance entre tendresse et rancœur,  on passe de l'étreinte à la colère en un clin d’œil, on révèle ses vieux mensonges,  nous suivons cette chronique dans toute son intimité, les personnages sont mis à nus...

Au cœur des années 70, ce fut un succès considérable : à travers sa propre expérience Bergman avait su parler à tous, à partager sa souffrance alors qu'en Europe occidentale avec la simplification des codes civils le nombre de divorce explosait ... 

Gageure qui peut apparaitre un peu folle de la part de Nicolas Liautard que de vouloir monter sur scène ce monument de la culture suédoise inscrit dans le marbre, dont Liv Ullman et Erland Josephson semblaient former à jamais le couple impossible , se retrouvant jusqu'à leurs derniers jours pour le magnifique Saraband. Défi un peu fou mais totalement réussi . La scénographie place le public de front, des deux côtés de la scène devenue un ring délimité par un parquet pour un combat épique, où chacun à son tour vient à poser genou à terre... nous ressentons toutes les vibrations.

Réussi parce que les deux acteurs Anne Cantineau et Fabrice Pierre sont absolument extraordinaires nous faisant oublier le duo mythique Liv Ullman et Erland Josephson . Jamais nous n’avons cette impression qu'ils sont dans le jeu, ils sont justes, naturels,  étonnamment vivants. Nous devenons les voyeurs d’une histoire intime et universelle, nous plongeons dans l'intimité du couple.

Scènes de la vie conjugale n'est pas une ballade tranquille mais c'est un objet fascinant, perturbant où nous ressentons un large spectre d'émotions. Parfois entre les rencontres Marianne et Johan, moments de tension et de grâce,  des coupures  viennent donner une respiration. Nous pensons notamment à cette femme au foyer, Madame Jacobi, qui se présente chez l'avocate pour obtenir le divorce. Elle ne reproche rien à son mari mais elle ne l'a jamais aimé et  souhaite abandonner ce monde factice,  Nanou Garcia  fait une apparition inspirée au cœur de ce spectacle, ou plus tard quand Marianne engage une conversation intime avec sa mére qui vient de perdre son mari , les deux femmes se découvrent c'est un moment d'apaisement.. 

Cela dure 3h50, c'est toujours beau, intense,  c'est sublimement masochiste ! Un très grand moment de théâtre !

Vu au Théâtre de la Colline

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