Un film au charme fou, un objet nouveau dans l'univers cinématographique, le documentaire chanté... un film rare qui enchante les plus jeunes qui se retrouvent totalement dans les personnages de ce documentaire et qui rendent mélancoliques les plus anciens qui revisitent les sentiments de leurs jeunes années.
Tourné sur une année scolaire dans la ville de Boulogne sur mer dans le Pas de Calais, nous suivons la destinée d'un groupe de lycéens, avec au centre d'eux Gaëlle qui doit négocier son avenir avec ses parents divorcés. Ils doivent préparer leur bac et trouver leur nouvelle route. La crise économique qui frappe la région du Nord depuis 40 ans a pris une nouvelle ampleur ces dernières années... Il n'y a plus cette alternative qu'ont connu leurs parents, voire leurs grands parents où si tu ne travaillais pas à l'école, tu allais à l'usine ou sur les bateaux de pêche...pas de place pour l'échec scolaire !
Gaëlle est au centre du documentaire parce qu'elle est celle qui porte une revendication claire, le droit à l'insouciance qui nourrit son charisme. Elle connait clairement le contexte économique, elle s’inquiète même de l'avenir professionnel de son père électricien sur le port, mais elle connait aussi Arthur Rimbaud elle sait qu'on n'est pas sérieux quand on a dix sept ans, alors rien ne la fera renoncer à aller boire des bocks de bière avec ses amis. Gaëlle, son rêve c'est de faire une école de marionnettes, Charleville justement... mais son père s’inquiète de ce chemin qui lui semble sinueux et à la destination incertaine, il a la peur de l'impasse... elle porte finalement son choix sur l'école des Beaux Arts de Tourcoing....
Autour d'elle, il y a Rachel qui ne doute pas d'elle, ses parents n'ont jamais eu peur de vivre à la marge, à l'opposé Caroline la seule à être rongée par l'anxiété, incapable de se projeter dans l'avenir. La situation de ses parents, sa mère n'a plus d'emploi et celui de son père ouvrier est largement menacé, ne fait que nourrir son désarroi . Nico, lui s'est créé un personnage inspiré par Dylan et Gainsbourg dont il reprend les tics quand il chante, physiquement il est un mix de Miossec et de Cali. Il déprime quand son canard Douglas meurt, mais cela tient surtout du personnage "poète maudit "qu'il compose. Surement agaçant mais ici particulièrement touchant...
Puis enfin Alex, un personnage hors norme, n'a pas suivi ses copains en terminale redoublant sa première. Pourtant lors du bac de Français il est allé décrocher un 16 la meilleure note de sa classe ce qui ne lui servira à rien, mais là est Alex, imprévisible, joyeux, un look bien à lui, impossible de le rater. Il a déjà frôlé la mort dans son jeune age victime d'une leucémie, une expérience qui lui donne un autre regard sur la vie. Il partage avec son père une passion pour le rock, ils ont formé un groupe lui à la contrebasse, son père au chant et au ukulélé, ils donnent des concerts dans les bars. Ils font la route aux sons des Clash et le soir ils donnent une version tendre et touchante d' Antisocial de Trust. Un père qui est resté conforme à ses rêves d'adolescent sans avoir le coté pathétique de l'adulte refusant de vieillir, il a décidé que la crise n'aurait pas de prise sur lui, il est l'adulte le plus joyeux, le plus accompli de ce film.
Le documentaire chanté, David André a confessé que c'était pour lui une vieille idée qui faisait toujours rire son entourage , comme une idée folle et improbable... mais cette vieille lubie a trouvé tout son sens ici, ces jeunes chantant leur vision de la vie, leurs états d’âmes librement ne font qu'exprimer l'insouciance et les peurs propres à leur temps, c'est diablement beau !
Nous avons croisé là un groupe de lycéens d'une section littéraire, qui aime les livres, la poésie...Filmés dans leur territoire du Nord merveilleusement rendu par David André , leur parcours a suscité en nous le désir de visiter Boulogne sur mer et les plages du Pas De Calais... A coté de ces jeunes gens lucides mais pas gâtés non plus ne nous y trompons pas, nous nous souvenons des jeunes filles perdues dévorées par la société de consommation de Bande de filles; les rêves murmurés ici font du bien.. . Ce film est à la base un documentaire où le réalisateur est parti sans scénario, si ce n'est l'objectif de suivre des jeunes gens passant le bac durant une année scolaire,afin de montrer ce moment angoissant de l'épreuve et du choix des possibles ... Par la force des intervenants, il prend la puissance d'une fiction, les personnes devenant personnages au sens le plus romanesque, il se crée quelque chose de rare sous nos yeux, on peut se demander si la bande à Alex n'a pas finalement phagocyté le projet initial pour se l'approprier définitivement avec la bénédiction du réalisateur qui parti dans un lycée immense de Province a trouvé cinq pépites, un petit trésor en quelque sorte.Il confessa d'ailleurs après le film que le rapport exclusif qu'il eut avec cette bande ne fut pas sans créer des tensions et des jalousies l’empêchant notamment de tourner des scènes de classe.
Chante ton bac d'abord, s'inscrit dans une grande tradition du
cinéma français qu'est le film sur la jeunesse avec l'école pour arrière
plan. Il y eut zéro de conduite de Jean Vigo, les 400 coups de François Truffaut, Passe ton bac d'abord de Maurice Pialat, ou plus récemment Après mai de Olivier Assayas et bien d'autres encore... nous pourrions également citer les films de la série d'Arte Toutes les garçons et les filles de leurs ages dont nous retenons les roseaux sauvages de André Téchiné tant Gaëlle nous parait aussi lumineuse que pouvait être alors Elodie Bouchez. Une page magnifique du cinéma français où il convient d'inscrire ce dernier film qui vient nous rappeler que cette jeunesse idéaliste existe toujours!
Chante ton bac est un film magnifique, c'est un pur enchantement !