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Le théâtre comme la peste est une crise qui se dénoue par la mort ou la guérison" (Antonin Artaud - Le théâtre et son double)
Après Bérénice de Jean Racine, et les souffrances de Job de Hanok Levin, Tac de Philippe Minyana est le troisième spectacle mis en en scène par Laurent Brethome que nous avons l'occasion de voir en moins d'un an.
Après ces trois expériences, il nous semble évident de le placer dans la lignée des grands metteurs en scène du théâtre populaire. A chaque fois , nous sentons chez ce jeune créateur une volonté de rendre accessible au plus grand nombre et notamment à ceux que Etienne Davodeau nomme tendrement
"les mauvaises gens" les textes de l'art dramatique aussi bien les grands classiques que ceux des auteurs contemporains, sans faire aucune concession. Le spectateur est au cœur de ses préoccupations.
Ce qui nous frappe en premier lieu c'est l'attention qu'il porte à la forme, ses spectacles sont visuellement d'une grande beauté. A chaque fois nous avons cette impression de voir une mise en scène enrichie par des éléments de langage cinématographique où des scènes entières ont l’élégance de plans séquences. Par l'utilisation des couleurs, des lumières, par une scénographie qui utilise à merveille l'espace de la scène, il capte notre regard, pour le mener là où il le souhaite, avec cette capacité rare de glisser de l'intime au plan large sans jamais nous perdre. C'est d'une rare subtilité, ce sont les formes qui nous disent le fond des choses, ainsi Jean-Luc Godard parlait du cinéma d'Alfred Hitchcock:
"et si Alfred Hitchcock
a été le seul poète maudit
à rencontrer le succès
c'est parce qu'il a été
le plus grand créateur de formes
du vingtième siècle
et que ce sont les formes
qui nous disent
finalement
ce qu'il y a au fond des choses
or, qu'est ce que l'art
sinon ce par quoi
les formes deviennent style
et qu'est ce que le style
sinon l'homme"
Dans ce dernier spectacle, Philippe Minyana a repris un texte "pièces" écrit il y a une dizaine année, pour se mettre à disposition du metteur en scène. Le texte a été coupé, remodelé, fait sur mesure pour ce spectacle, un nouveau titre lui a été attribué "Tac". Une complicité et une complémentarité entre les deux hommes évidentes qui donnent au spectacle toute sa densité.
"Tac", c'est l'histoire de ce que l'on nommerait dans certaines de nos contrées un "jobard". Inspiré d'un fait divers, Tac souffre de syllogomanie, on parle également de syndrome de Diogène, il ne jette rien, il garde tout chez lui, . Son domicile est devenu infréquentable, il ne peut plus y pénétrer alors il dort sur son palier ou chez une maitresse.
Une fuite d'eau provoque une catastrophe, le plancher de l'appartement sous le poids des objets accumulés menace de s'effondrer, les voisins profitent de l'absence de Tac pour faire vider entièrement son appartement par les services de la ville, 8 tonnes de papier sont jetées, les meubles sont vendus sur le trottoir... Tel le commun des mortels qui perd aujourd'hui le contenu de son disque dur, le monde de Tac s'écroule sans un regard de compassion de la part de ses voisins qui voient là une occasion unique de se débarrasser de ce doux dingue sans en comprendre la détresse .
Peut être parce que nous venons juste de revoir Elephant man, nous serions tentés de rapprocher la détresse du personnage à celle de John Merrick , le regard des autres devient insupportable à Tac, '"je ne suis pas fou" hurle-t-il désespéré. Tac va chercher à recréer des racines, de se retourner vers son passé, sa famille, c'est le début d'une longue errance. Ainsi Philippe Minyana décrit sa pièce:
"C'est ainsi que partant du fait divers (histoire lue dans un journal) on tisse l'allégorie: "la chute de l'homme" ou bien encore "comme l'on résiste à la normalité et comment la normalité triomphe" ou bien encore "la solitude de l'homme est si grande qu'il en mourut".
Nous nous souvenons que dans la nuit américaine de François Truffaut, le personnage du metteur en scène prenait un journal indiquant que l'on pouvait faire un film de chaque fait divers, Philippe Minyana est ici dans la même démarche que le cinéaste, son texte est nourri de nombreux faits divers qui en disent long sur notre époque. Coupée en chapitres, nous assistons à la chute d'un homme, une histoire sombre et désespérante, un monde sans pitié. Tac est incarné par Philippe Sire présent déjà dans les deux précédents spectacles de Laurent Brethome, sa prestation est toujours aussi impressionnante. Les comédiens qui l'entourent sont à l'unisson.
Les pieds dans l'eau du début à la fin, l'homme ne peut refaire surface . Sublime, un spectacle plein d'effroi!
Tac - un texte de Philippe Minyana - La compagnie le menteur Volontaire - Mise en scène Laurent Brethome
Jusqu'au 21 avril au théâtre Jean Arp , pour en savoir plus cliquez
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