Chronique d'une journée de Mrs Dalloway, épouse d'un parlementaire conservateur anglais. Une journée particulière pour Clarissa Dalloway puisque le soir même, elle donne une grande réception à son domicile. Une journée rythmée par la sonnerie de Big Ben . Une journée dont la particularité est renforcée par la visite inopinée de Peter Walsh de retour des Indes après une absence de plusieurs années dont elle avait refusé jeune fille la demande en mariage. Une journée qui fait remonter les vieux souvenirs de ses jeunes années...
Portrait de Londres des années 20 où le passage d'un aéroplane dans le ciel est un événement qui fait lever à tous la tête pour s’émerveiller de l’objet volant qui stoppe le temps de son passage la vie de la cité. L'empire anglais est alors au summum de sa puissance, c'est la fin d'un monde celui du XIXème siècle que la crise économique à venir va entrainer dans une nouvelle ère.Une ville traversée tel un zombie par Septimus Warren Smith, un ancien combattant qui ne se remet pas du traumatisme de la guerre où il a perdu son ami... Il a pour seul soutien sa femme qui le suit pas à pas, une jeune italienne rencontrée lors de sa campagne militaire, elle est désemparée si loin de l'idée qu'elle s'était imaginée de son mariage. Il fait le choix de se défenestrer lorsque un médecin vient le chercher pour l'interner. Ce dernier présent à la soirée de Mrs Dalloway, témoigne de la tragédie dont il fut le témoin... Clarissa est bouleversée par le choix de cet homme...
Merveilleux roman qui s'ouvre au petit matin lorsque Clarissa ouvre sa fenêtre et que la brise matinale la renvoie à ses jeunes années, une scène proustienne en ouverture qui donne le ton de ce récit... Où l'apparence de légèreté de Mrs Dalloway est contrebalancée par ses sombres pensées intimes :
"Pourtant, cela l'irritait de sentir remuer en elle ce monstre brutal; d'entendre les brindilles qui craquaient et de sentir les sabots bien plantés dans les profondeurs de cette forêt encombrée de feuilles, l'âme; de ne jamais connaître le contentement, ni la sécurité, car à tout moment, le monstre pouvait se réveiller, cette haine qui, surtout depuis sa maladie, avait le pouvoir de la hérisser, de lui faire mal jusqu'à la moelle; de lui infliger une douleur physique, de faire que tout le plaisir qu'elle pouvait prendre à la beauté, à l'amitié, au simple bien-être, au sentiment d'être aimée, et de rendre sa maison accueillante, oui de faire que tout cela pouvait vaciller, trembler, et ployer comme si en vérité, il s'agissait bien d'un monstre qui fouissait au milieu des racines, comme si toute la panoplie du contentement n'était que narcissisme! Cette haine!"
Sublime texte, bouleversant où avec une délicatesse rare et une grande justesse l'auteur parle de la dépression alors que la médecine n'a pas encore pris toute la mesure de cette maladie, et nous pouvons mesurer connaissant la vie de Virginia Woolf combien ces lignes ont du puiser dans son intimité profonde et combien la question du suicide faisait partie de son quotidien. Pour autant la lecture n'est jamais angoissante et sombre, l'humour est présent à longueur de page, c'est peut être tout le génie de l'élégance anglaise.
Roman dans la merveilleuse traduction de Marie Claire Pasquier