dimanche 10 novembre 2013

Enfermées - Rona Munro (Mise en scène Magali Leris)

Josie, vingt cinq ans,  rend visite pour la première fois à sa mère Fay emprisonnée depuis 15 ans et ce jour funeste où elle a tué son père. Josie n'a plus aucune mémoire de son enfance, elle compte sur sa mère pour la réveiller, mais cette dernière refuse de revenir sur ce passé. De son crime, elle n'a jamais voulu parler,  même pas lors de son procès renonçant par son silence à toute forme de clémence de la part des juges qui l'ont condamnée à perpétuité.
Elles vont se retrouver au sein d'un parloir déshumanisé sous la surveillance permanente de gardiens de prison, les premiers dialogues sont difficiles, faits de non-dits... l'évocation du passé commun est compliquée.
Nous savions pour avoir vu "Sonate d'automne" de Ingmar Bergman, la violence que pouvait engendrer des retrouvailles Mère Fille et les réminiscences des années passées, mais nous sommes ici loin du monde bourgeois du cinéaste et dramaturge suédois où la jeune fille avait souffert de l'absence de sa mère, pianiste de renommée internationale parcourant le monde . Nous sommes dans le milieu populaire anglais, où l'on aime sortir dans les pubs se reveillant parfois le matin dans son canapé et son vomi. Un monde finalement  inconnu à Josie devenue une brillante jeune fille qui a connu une ascension sociale la menant à voyager autour du monde au gré de ses emplois.
Mais comme Eva l’héroïne de Bergman, Josie se retrouve dans une impasse où le seul espoir de sortie est de régler son passé , de tenter de comprendre sa mère, voire de s'occuper de sa défense, mais cette mission semble bien difficile face à une femme détruite par quinze années d'incarcération. Se réapproprier ce passé est une condition indispensable pour pouvoir aimer.
Il est difficile de ne pas penser à Ken Loach, d'autant plus que Rona Munro fut la scénariste de son film le plus bouleversant, Ladybird Ladybird. Si ce drame social a une portée malheureusement universelle, il convient de reconnaitre que les anglo-saxons ont un talent unique pour en donner une juste représentation, nous nous souvenons ainsi avoir assisté par le passé dans ce même théâtre à une représentation d'une pièce irlandaise sur les violences conjugales de Roddy Doyle, Paula Spencer la femme qui se cognait dans les portes...
Le travail de mise en scène de Magali Leris est absolument remarquable, elle donne vie à ce texte, lui donne corps... Décor minimaliste, une lumière faite de deux néons, elle a su parfaitement mettre en rythme le texte pour en révéler toute la tension, la dramaturgie notamment par ses plages de silence qui révèlent les bruits permanents et usants de la prison... Nous avons été scotchés par ce spectacle d'une grande intensité qui derrière le drame intime est aussi une véritable réflexion sur l’univers carcéral et  le rapport gardien prisonnier. Fay la criminelle a compris dés son forfait commis qu'elle ne pourrait jamais se libérer de son crime, un châtiment qui n'est pas sans rappeler celui de Raskolnikov, mais à la différence du roman de Dostoïevski, Dieu et la rédemption sont ici totalement absents.
Les deux actrices Nanou Garcia et Marion Harlez Citti sont absolument formidables, le jeu est exigeant, physique, fait de montées de tensions brusques, elles sont toujours justes, parfaitement encadrées par Priscilla Bescond et Stephane Comby jouant les deux gardiens.

Un grand moment de théâtre, un spectacle à découvrir !


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