La lecture récente de "Une suite française" de Irène Némirovsky et "la mort dans l'âme" de Jean-Paul Sartre, nous a rappelé l'existence dans nos archives familiales de lettres écrites par un aïeul à son épouse au début de la "débâcle". Lieutenant d'infanterie, il se retrouve au cœur de la bataille. Nous diffuserons quatre lettres en retirant les prénoms cités, elles sont un témoignage de la violence des combats, du désarroi des soldats qui furent parfaitement décrits et analysés par Marc Bloch dans "l'Etrange défaite..."
Ecrites entre le 10 mai et le 21 mai 1940, leur auteur fut gravement blessé le 23, blessures dont il portera les stigmates le restant de ses jours.
Le 10 mai 1940
Mes chéris,
Je profite d'un instant de calme pour t'écrire un mot. Tu parles d'une journée aujourd'hui. Ces salauds de boches sont venus en plein jour bombarder le triage, tu parles d'une musique mais rien de grave. Alerte depuis cette nuit et évidemment, la date de ma permission est reculée jusqu'à quel moment, je l'ignore?
Je comptais avoir une lettre de toi aujourd'hui pour avoir des nouvelles G... (*), j'ai vu ce matin ta lettre à la famille D...
Je me demande dans quel état est Z... au sujet de R... qui est à Nancy, il y a parait-il des victimes civiles. Je me félicite que tu ne sois plus à Lyon, Bron vient de prendre quelque chose aussi et notre maison n'est guère loin du terrain. La femme à A... ne doit guère s'amuser en ce moment. Il ne faut pas te faire de bile si tu restes quelques jours sans nouvelles, il va y avoir probablement des retards dans le courrier et puis j'ignore ce que nous allons faire. Je passe la nuit dehors, avec ces boches il faut se méfier, les parachutistes sont à craindre. J'espère avoir une lettre demain, je ne suis pas tranquille pour mon petit G... (*). J'ai compté 23 avions boches pendant la deuxième vague, nous allons passer une drôle de nuit. Charleville a pris une sacré sauce, je n'ai pas de nouvelles de mes parents, la ville n'a rien, c'est simplement les points stratégiques (usines, voies etc...). Mais quelle sale race que ces boches, nous allons arriver à dresser tous ces salauds. Je te quitte Z... chérie pour aller manger, il est 20 heures et je n'ai rien dans le ventre depuis 11 heures, nous avons les derniers travaux de défense à faire car s'ils arrivent ils vont avoir une fameuse réception.
Embrasse bien les petits pour moi, je t'embrasse tout fort Z... chérie. Comme il y a quelques jours je me félicite de t'avoir fait venir et je suis content de te savoir à nouveau là-bas, ça devient trop grave maintenant.
Le pauvre R doit râler, il faut qu'il revienne le plus possible. Nous avons une belle chance tous les deux.
Rebaisers petite chéri,e ainsi qu'à, Z..., M..., J..., pépé et mémé.
Ton petit mari tout à toi, confiance, courage et surtout tachez tous d'être gais, il est inutile d'avoir mauvais moral.
(*) son fils
Je découvre aujourd'hui toutes ces lettres, merci de mettre en ligne ce témoignage qui n'est pas sans me rappeler d'autres lectures.
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