jeudi 25 février 2016

La fin de l'humanité - Karl Kraus (Mise en scène David Lescot)

"J'affirme que, pendant la guerre, tout intellectuel s'est rendu coupable de trahison envers l'humanité s'il ne s'est pas révolté contre sa patrie quand celle-ci était en guerre."

Karl Kraus
"L'oiseau qui souille son propre nid"
La sorbonne, 9 décembre 1927




Né en 1876 en Bohème, Karl Kraus a grandi à Vienne. Dés 1914, il pressent l'horreur à venir, il est un observateur avisé de tous les délires, les corruptions, quand la presse elle même se laisse entrainer pour justifier la guerre. Pour les marchands d'armes, c'est un âge d'or ...
Il écoute, il lit, il note, il rédige une œuvre considérable, une pièce en cinq actes, une tragédie où le destin ne s'applique pas ici à un personnage mais à l'humanité toute entière. 
C'est une œuvre Patchwork où il reprend extraits de presse, de discours, de lettres, propos de comptoirs ;  il reconstitue des scènes de foules, intègre des chansons, les personnages sont multiples, c'est autant du cabaret que du théâtre.
La pièce était prévue pour se jouer sur plusieurs jours ce qui n'était pas envisageable pour le théâtre du vieux colombier. David Lescot a  dû tailler dans le texte sans en diminuer ni la virulence ni la truculence. Le travail final est impressionnant, le tout est renforcé par l'ajout de films d'archives particulièrement impressionnants, nous pensons notamment à ces images effroyables de soldats victimes d'obusite.
A chaque acte, correspond une année de conflit, qui s'ouvre sur un dialogue entre trois officiers restés à Vienne,  le rire sardonique des premiers temps s'efface, l'optimisme de certains ne trouve plus sa place. Les paysages dévastés des champs de bataille, les morts, les blessés, handicapés témoignent de la folie destructrice des hommes. La fin de l'humanité est bien là...

Ils sont quatre sur scène: Denis Podalydés, Bruno Raffaeli, Sylvia Bergé et Pauline Clément. Ils sont accompagnés par le pianiste Damien Lehman ... ils changent de personnage en un tour de main, un vrai plaisir d'acteur, ils passent du burlesque à la tragédie, ils révèlent toute l'absurdité de la situation. Ils jouent, ils lisent des lettres, ils chantent, ils révèlent toute la force du texte, toute sa monstruosité. C'est un spectacle magnifique et bouleversant.

Le texte magnifique a été édité aux éditions Agone. Ci-dessous, l'extrait du quatrième de couverture en révèle en quelques lignes toute la puissance:

"Au secours, les tués ! Assistez-moi, que je ne sois pas obligé de vivre parmi ces hommes qui ont ordonné que des cœurs cessent de battre! Revenez ! Demandez-leur ce qu'ils ont fait de vous ! Ce qu'ils ont fait quand vous souffriez par leur faute  avant de mourir par leur faute ! Cadavres en armes, formez les rangs et hantez leur sommeil? Ce n'est pas votre mort - c'est votre vie que je veux venger sur ceux qui vous l'ont infligée! J'ai dessiné les ombres qu'ils sont et je les ai dépecés de leur chair! Mais les pensées nées de leur bêtise, les sentiments nés de leur malignité, je les ai affublés de corps! Si on avait conservé les voix de cette époque, la vérité extérieure aurait démenti la vérité intérieure, et l'oreille n'aurait reconnu ni l'une ni l'autre. J'ai sauvegardé la substance et mon oreille a découvert la résonance des actes, mon œil le geste des discours, et ma voix, chaque fois qu'elle citait, a retenu la note fondamentale, jusqu'à la fin des jours. "

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