Dans le port de Naples, Octave a tout d'une petite frappe qui aime à jouer les caïds, mais dés qu'il apprend le retour prématuré de son père Argante, il panique, il s’effondre. Il sait que son tout récent mariage avec Hyacinthe une jeune fille sans fortune va déclencher le courroux d'Argante qui avait d'autres projets pour lui. Son ami Léandre n'est pas plus fier, son père est aussi de ce voyage et il ne va pas apprécier de découvrir sa passion pour la bohémienne Zerbinette. C'est panique et désarroi sur les quais.
Scapin le valet de Leandre est l'unique recours. Habile, rusé, il sait manipuler, inventer. Lui seul peut faire accepter aux parents la situation de leurs enfants. Il ne se fait pas fait prier, trop heureux d'aller contre l'ordre établi, lui dont les forfaits passés lui vont valu quelques séjours en geôles. De quoi nourrir son goût pour la rébellion...
La tache n'est pas si ardue, le bourgeois souvent compromis par ses affaires se révèle face à la difficulté, pleutre, geignard, ne refusant plus de lâcher un peu de monnaie malgré une pingrerie maladive.Il s'amuse d'eux, Scapin, profitant même de l'occasion pour leur filer quelques coups de bâtons bien sentis.... le mariage est imposé aux deux pères mais par une pirouette finale, nous découvrons que l'ordre établi n'est point compromis, les deux fils deviendront comme les pères. Comme Bérénice, Job ou Tac, les héros des précédents spectacles de Laurent Brethome, Scapin se retrouve seul, confronté à sa propre solitude, exclu... Sombre final.
Deux containers, des costumes d'aujourd'hui, des flingues qui remplacent les dagues, un Scapin contemporain mais où l'esprit de Molière est partout... Il ressort toujours un coté sombre de ses pièces , une impossibilité à ébranler le socle établi des puissants, mais ils ne nous empêcheront pas de rire d'eux, d'en faire des ridicules.... Laurent Brethome est totalement dans cet esprit là, nous offrant un spectacle drôle et sombre duquel on sort totalement revigoré. Et si nous avons cité Cécile Ladjali en préambule, c'est parce que justement ce spectacle nous invite sans en trahir l'auteur à poser un regard nouveau sur la comédie de Molière. Il rend ici parfaitement l'urgence de la situation qui n'est pas sans
engendrer une violence inéluctable. Pas de temps pour la réflexion, tout
est action.
L'aspect impressionnant du théâtre de Laurent Brethome est sa capacité à jouer avec les espaces comme si la scène n'était pas une contrainte mais un espace de liberté sans limite, capable de passer en un instant de la scène intime à la scène de groupe. Tel un cinéaste, usant de tous les artifices, lumière, son, il manipule le regard du spectateur . Cela fonctionne par une scénographie brillante mais aussi par un jeu parfait des acteurs qui livrent une performance physique où la voix révèle toute la puissance du texte avec cette volonté de ne jamais perdre le spectateur, qu'il soit toujours au fait de ce qui se joue sans chercher à nous conforter, il aime à nous déstabiliser, nous oblige à nous interroger, c'est toute la richesse de son travail et l'essence même du théâtre populaire.
Si tous les acteurs sont parfaits dans leur rôle dans un parfait esprit de troupe, nous restons impresssionnés par la présence de Philippe Sire qui donne une épaisseur redoutable à son personnage d'Argante qui ne fait que rendre plus grand Scapin. Scapin c'est Jérémie Lopez de la comédie Française, il communique parfaitement le plaisir qu'il prend à jouer ce délicieux voyou. Il sait parfaitement que la justice n'est pas juste mais qu'elle est juste là pour protéger les puissants. Mais qu'importe, il se bat, il ruse, il met à genou le bourgeois, mais le rideau tombe et le monde n'est pas meilleur...
Laurent Brethome révèle sans gâcher le plaisir du rire toute la noirceur et la violence des Fourberies de Scapin. Magistral !
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