Le maître des aveux, c'est Kaing Guek Eav plus connu sous son pseudonyme de révolutionnaire Douch qui fut à la tête du sinistre camp S21 où plus de douze mille personnes périrent durant les quatre années où les Khmers rouges dirigaient le Cambodge. Sinistre prison où des aveux sans fondement étaient arrachés aux prisonniers sous la torture avant de se voir systématiquement appliquer la peine capitale Reconnu en 1999 par le photographe Irlandais Nic Dunlop plus de vingt ans après la chute du régime de Pol Pot, vivant paisiblement dans un village, Douch est le premier responsable Khmer Rouge a être jugé. Fait rare pour un bourreau, il reconnait sa responsabilité et participe au débat. Thierry Cruvelier assiste à son procès.
Mais le" Maitre des aveux" va bien au dela du simple compte rendu des débats étalés sur de longs mois, c'est un portrait du Cambodge plongé dans la tourmente. Douch personnage complexe converti au christianisme reconnait son crime, l'auteur cherche à le cerner pour cela il reprend le portrait des psychologues et le travail de l'historien américain David Chandler. C'est un travail remarquable.
La situation est complexe, Douch alors jeune professeur de mathématiques s'est embarqué librement dans le parti communiste, on peut d'ailleurs comprendre aisément cet engagement au vu de la situation de son pays, dirigé au début des années 70 par la junte militaire du général Lol Non avec le soutien des américains. Mais une fois le régime des Khmers Rouges au pouvoir en 1975, la paranoïa devient le moteur du nouveau gouvernement, le pays bascule dans la folie irrationnelle, nous sommes bien loin de l'idéal communiste. Phnom Penh est vidé de ses habitants, les camps de travail se multiplient, les assassinats sont quotidiens, le régime va éliminer un quart de la population. Pour Douch pas d'alternative soit il se comporte comme un bon Khmer rouge, soit c'est la mort, il choisit d'être très obéissant...Dans ce camp qu'il dirige, Douch voit ses anciens professeurs, ses anciens collègues défiler. Pas d'émotion, pas de protection, il savait que la moindre faiblesse aurait signé son arrêt de mort. Il n'est d'ailleurs pas impossible de penser que sans la chute du régime Douch aurait fini par être à son tour victime d 'une purge. Les trois quarts des victimes du camp étaient des serviteurs du régime...
Mais Douch a beau reconnaître ses crimes, la réconciliation avec les victimes est impossible, les zones d'ombres demeurent. Thierry Cruvelier cite si justement un extrait "d'incendies" de Wajdi Mouawad: "Pourquoi ne pas vous avoir parlé? Il y a des vérités qui ne peuvent être révélées qu'à la condition d'être découvertes."
L'accusé accepte même de répondre sur des périodes qui vont au-delà de son accusation, notamment sur sa participation au camp de rééducation M13 où François Bizot l'ethnologue français fut prisonnier. il fut un des rares à pouvoir échapper à la terreur, il en fait le récit dans son livre "le portail" où il retrace les longs dialogues qu'il a pu avoir avec Douch. Il témoigne au procès et tente d'expliquer la complexité du personnage.
Thierry Cruvellier est un journaliste, il est resté quatre ans à Phnom Penh, pour couvrir le procès des Khmers rouges. Auparavant, il a couvert des procès contre l'humanité à La Haye et Sarajevo pour l'ex Yougoslavie, à Freetown pour le Sierra Leone, à Arusha pour le Rwanda. Ce livre est exceptionnel par la qualité du travail, il se lit comme un thriller et ne simplifie en rien la problématique du personnage. Il pose de vraies questions, la culpabilité de Douch ne fait aucun doute, mais il ne faisait pas partie des plus hauts dignitaires du régime communiste, certains de ceux-là ont pu rejoindre les arcanes du pouvoir sans être inquiétés. Khieu Samphan, ancien président du Kampuchéa démocratique, et Nuon Chéa "ancien frère n°2" des khmers rouges se sont ralliés au gouvernement de Hun Sen au nom de la réconciliation nationale, ils ne seront pas jugés.
Le maitre des aveux est un livre exceptionnel à placer à coté de ceux de Jean Hatzfeld consacrés au génocide rwandais.
Sortie prévue en librairie le 21 septembre - Editions Gallimard
RépondreSupprimerbonjour
Comme j'adore les livres de j.hatzfeld (bosnie et rwanda )je vais lire ce livre sur vos conseils.je viens de découvrir votre site.j'y reviendrai souvent pour des idées de lecture.j'ai l'impression que nous avons des goûts communs.
cordialement
Nous gardons effectivement un souvenir fort de cet ouvrage, comme ceux de Jean Hatzfeld. C'est une affaire complexe que la cambodge, nous nous retrouvons dans un système fou où le bourreau sait qu'il peut tout moment se retrouver à la place de la victime come sous le régime stalinien. L'angoisse est collective
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