Le spectacle que nous avons vu ce soir est un hommage amoureux de Charles Tordjman aux chroniques d'Alexandre Vialatte qui fut le premier traducteur de Franz Kafka alors inconnu, bijoux de la littérature du siècle dernier. Si on veut un portrait de la France du XXème, il convient d'avoir dans sa bibliothèque les ouvrages de Vialatte à coté de ceux d'Henri Calet.
Tous les dimanches soir, Alexandre Vialatte allait déposer sa chronique au train de 23h15 à la gare de Lyon pour qu'elle paraisse dans le quotidien auvergnat "La montagne". Il y causait de tout, aussi bien littérature, que vacances, animaux, dissertant sur des proverbes, Eva Peron voire même de la météo... Des textes d'une extrême élégance à l'humour raffiné, nous pensons immédiatement à Pierre Desproges qui reprit plus tard ce principe de chronique de celui qu'il considérait comme un maître, mais à la différence de celui qui fit les beaux jours du tribunal des flagrants délires, il n'y a jamais de haine chez Vialatte, le regard est plutôt bienveillant, souvent consterné, et d'une rare perspicacité; tel Fabrice à Waterloo, il observe le monde avec distance , mais il en ressent les soubresauts et décrypte sur l'instant la société de consommation qui se développe après la seconde guerre mondiale. Il en détaillait avec une ironie mordante tous les travers, comme ainsi:
"Rien n'est plus beau à voir que l'homme sur les montagnes quand il mange avec ses enfants du lapin mort dans des assiettes de plastique bleu. Il a les mollets nus et des sandales romaines. Il se grise d'idéal. Il tranche le cervelas. Il fait circuler la bouteille. Il jette au vent des épluchures de saucisson."
Dominique Pinon, Clotilde Mollet et Christine Murillo sont les trois comédiens qui ont jonglé une heure trente durant, avec les mots du chroniqueur. Avec talent et clarté dans une mise en scène sobre et ingénieuse, ils en ont fait ressortir toute la moelle, mettant en évidence toute la légèreté de la langue ciselée de l'auteur, on suit sans jamais perdre le fil, les chroniques qui ont gardé toute leur modernité, elle ne parlent pas que d'hier elles sont toujours aussi actuelles, c'est là le génie de l'auteur. Ainsi, l'histoire d'un rat déprimé se laissant mourir sur le béton d'un HLM nouvellement construit anticipe le mal vivre futur de ces nouveaux quartiers présentés alors comme un modèle social , il n'est jamais dupe. Drôle, on ne cesse de rire à ces textes qui s’achèvent immanquablement sur la réplique: "et c'est ainsi qu'Allah est grand"
Spectacle réjouissant, Charles Tordjman et les trois comédiens avec modestie ont su rendre honneur au génie de Alexandre Vialatte !
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